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Les Palmipèdes ne portent pas de tongs (*)

e-feuilleton de Peter Greenfinch

(*) Note préalable pour situer cette oeuvre
dans le grand livre de la culture universelle :

Si Proust s'était payé un violon,
et si Ingres avait goûté une madeleine,
la face du monde en eut été changée.

Alors les palmipèdes, même les plus emportés,
auraient eut la faculté de marcher retongués,
ce qui aurait été d'une toute autre portée.

Confusioux

Chapitre 1

Manhattan, 28 septembre, temps couvert, 23 degrés, petit vent de l’Atlantique.

Dick a perdu ses fausses dents. Un cambrioleur est parti avec. Plantées bien profond dans sa malhonnête personne. Si l'intrus n’a pas pu s’emparer du volumineux vase Néo-Proto-Ming placé à l'entrée et tant prisé par les parapluies humides, ce fut grâce à la bousculade, qui l'a réduit en tessons. Un bon chien de garde, Dick ! Hélas, à 27 ans, il n'est plus tout à fait le même. Des fois, il ne mord plus Miranda, l’ex femme de Hans. Déception pour ce dernier ! Hans lui a promis une nouvelle prothèse. En fibre de carbone. Faite du meilleur anthracite ukrainien. En plus de la qualité, elle donne l'air méchant.

Ils iront chez le vétérinaire ensemble. Si cette fois, il va l'accompagner, au lieu de lui prêter le scooter, c'est pour occuper son esprit. Faut pas qu'il se doute que le but réel est de le faire piquer. Faut dire que les croquettes, pour ce genre de gros mastiff, ça lui coûte l’Arabie Saoudite, à Hans. Et hélas, il n'a plus les moyens. L'investissement dans le chihuahua a transformé son compte en banque en trou de la sécu. Et impossible de revendre un chihuahua à trois pattes. C’est sa faute à ce clébard : il a joué avec Dick.

Hans cherche désespérément comment revenir à meilleure fortune. Il a tout perdu dans le crash des dot-com. Sauf son service de 237 petites cuillers inox. Un butin longuement amassé lors de ses voyages en avion, au temps où le business marchait bien. Il les mettait subrepticement dans sa poche, avant que l'hôtesse ne reprenne le plateau-repas. Son passeport en est encore tout poisseux.

Dans le Wall Street Journal d'aujourd'hui, Hans le lit toujours avant Dick, une information l'intrigue. Il semblerait que l'avenir soit dans les fusées individuelles. Le retour au cheval, quoi. Le groupe automobile Kühler-Barnes compte bien s'y mettre. Hans de se rappeler que son oncle Olaf, paix à son âme, avait trouvé un truc astucieux pouvant révolutionner les systèmes de propulsion. Un concentrateur de jet. C'était deux dispositifs en un :

  1. Une précombustion lente par laquelle la puissance s’accumule. Une astuce qui économise le carburant. Vu le niveau des taxes, c'est pain béni. Et pain grillé, pour parler de l’odeur agréable que ça dégage.
  2. Puis l’énergie est relâchée au bon moment, avec une force inouïe mais contrôlée. Un peu comme si un bovidé libérait brutalement son méthane concocté et accumulé en ruminant. Les meilleures inventions s’inspirent de la nature.

Les premiers essais d’Olaf avec des tubes de dentifrices et un vieil alcool de prunes roumain avaient été probants. Sa salle de bain ressemblait à Groznyï après les bombardements.

Parfait tout cela, Hans s'entend-il dire. Quand Hans pense (excusez l’auteur si ces deux mots qui se suivent sont difficiles à prononcer après deux martinis), il se parle à lui même. Mais vous pouvez écouter. Le hic, c’est que l'argent va à l'argent, poursuit-il, cette fois in petto. Les start-up, ça dévore des capitaux. Comme Dick les croquettes. De plus, prendre un brevet d'invention pose problème dans le cas présent. Car un soir de beuverie, l'oncle Olaf a parlé imprudemment de son idée. Sans dévoiler le processus bien sûr. Personne ne sait que le catalyseur doit être tiré d'une plante rare de la forêt amazonienne.

Ce point de détail soulève d'ailleurs une question : comment faire taire les écologistes ? Tout le curare du Brésil n'y suffirait pas. Peut-être qu'en leur promettant l'exclusivité sur le Sahara, comme Cousteau l'avait obtenu sur l'Antarctique, il aurait une bonne monnaie d'échange. Resterait pour Hans l'insignifiant problème de convaincre une demi-douzaine de pays d'Afrique de lui céder cette caillasse ensablée.

Laissons cet aspect mineur et revenons à la question essentielle. Ou plutôt existentielle, vu que c’est une condition de survie. Sinon de Hans, du moins du projet. C’est celle du dépôt du brevet.

Et là, vous n’êtes pas sans savoir que pour obtenir satisfaction au bureau des inventions à Washington, une idée suffit. Par exemple une façon astucieuse de disposer les chaises dans un salon. La seule condition est que personne ne l’ait déposée avant. Ne vous en privez pas, ces gens là sont peu regardants. On remplit un formulaire. On ajoute quelques commentaires et dessins d’enfant. Si chaque préposé n'accorde pas un brevet par jour, il n'a d'autres ressource que de se faire pasteur en Alabama. Certains prétendent qu’il y a déjà quarante-deux brevets correspondant à quarante-cinq façons (compte tenu des variantes) d’enfiler ses chaussettes. Vous n'imaginez pas la vitesse à laquelle les tampons "; approuvé " s'usent là-bas.

C’est un tuyau que je donne en passant aux inventeurs potentiels de tampons inusables. Ca amortit déjà pas mal pour eux l'achat du bouquin. Et ça leur permet d’espérer quelques revenus pour payer la redevance de l’un des - comme on dit chez les clercs de notaire - susdit brevets chaque fois qu’ils mettent des chaussettes, voire une seule. Le fait de l'enfiler par la partie non fermée est une technique désormais protégée. Encore que quasiment tout inventeur qui se respecte est un grand distrait qui se promène pieds nus dans des galoches par tous les temps.

L'idée d’Olaf est tombée dans l’oreille aux lobes agiles de son voisin de bar. Un certain Willy Herbacker ayant étudié le droit de la propriété industrielle à Yale. Un cousin l'avait convaincu que le chef cuisinier de la cafétéria des postgraduates était de loin supérieur à celui de Harvard. C'était à tort d'ailleurs : simplement le cousin était friand de viande en daube. Willy comprit tout de suite l’importance de l’invention du tonton de Hans (Hans's uncle, en anglais, voyez, vous commencez à bien prononcer). Il en fit ses choux gras. Toujours ces souvenirs de la diététique estudiantine. Devenu rapidement titulaire du brevet, c'est à ce fourbe que revient désormais le droit de l'exploiter. Et cela dès qu'Olaf, ou tout autre nobélisable comme vous et moi, la concrétiserait. Tapis sur sa moquette ( ?), Willy attend son heure.

Hans a découvert le pot aux roses en se renseignant sur les brevets concernant les fusées. Il se dit qu'il doit s'occuper de Willy sans traîner. S'occuper est une litote. Qui lit des romans aussi noirs et ingénieux que celui-ci s'en doute bien.

Mais régler une telle affaire dépasse un peu les compétences de Hans. Il n'a jusqu'ici trucidé que des mites dans sa penderie. D’accord, lancer des boules de naphtaline exige un minimum d'adresse. Mais devenir fin tireur au fusil à lunette demande plus d'entraînement. Et d'ascèse. Bien sûr, la naphtaline pourrait être fatale pour Willy. Pas un jour ne se passe sans que la science médicale ne découvre de nouvelles allergies. Mais Hans (Tamalesky, surnommée en son temps El Tamal exquisito, ou simplement Tamal, par Miranda, qui l'avait rencontré dans un restaurant latino) n'y compte pas trop. Il sait Willy insensible au rhume des foins. Ce gars se fait un plaisir de lancer des sarcasmes et du pollen aux autres joggers qui larmoient en juin à Central Park. Il doit avoir de hautes protections pour se permettre de telles ignominies.

Bon, peut-être que chez ces gens-là, Hans trouvera facilement un complice. Quelqu’un d’anonyme à la tête passe-partout. Un blaireau sans strabisme, ou avec un strabisme parfaitement parallèle. Un gars ou une fille qui aurait pour innocent plaisir de faire des cartons la nuit, avec un viseur infrarouge, sur les chats de Manhattan. Hans se promet d'aller faire un tour à Central Park un matin. Bien qu'il n'aime pas se lever tôt. Il pourrait se faire remarquer par les éboueurs. Il ne leur a pas donné d’étrennes en début d’année. Ceux-ci lui ont jeté au nez sa carte Visa périmée, prétendant qu’ils préféraient du liquide.

Pour se changer les idées, Hans décide de téléphoner à Maureen Larivière. Elle est restée son amie malgré ses vicissitudes et son pull-over troué. Elle est professeur d'ergonomie comparée. Elle est elle-même bâtie de façon ergonomique. Au goût de Hans surtout, qui déteste les platitudes. Ses réflexions sur les dunes du Sahara lui ont donnée l'idée de l'appeler. Ayant composé le numéro avec une dextérité de pianiste, il tombe sur un mauvais correspondant. Après un échange de grognements en serbo-croate, il coupe. Il s'en veut de ne pas avoir, par coquetterie, utilisé les touches de numéros en mémoire. Bon, voilà qui est fait. Voici enfin la voie rauque et douce à la fois de Maureen.

- Allo !

- Allo de même (Hans est facétieux, ce qui au départ lui a valu le coeur de Maureen)...

- Hans, mon chéri (Hans y sent un certain froid : d'habitude elle lui dit mon poussin) ! Je me demandais si tu m'appellerais après notre petite brouille d'hier soir.

- J'avais tant envie d'entendre ta voix et de te parler !

- Oh, moi, aussi je le reconnais (ouf, encore une fois, il a gagné, le poussin, se dit Hans) ! C'est promis, mon caneton adoré (là, c'est peut-être trop, s’inquiète Hans, qui s’imagine mal en palmipède barbotant), je ne te ferais plus de cours d'ergonomie sur ta façon de manger les spare-ribs. Mais que veux-tu, la vue du ketchup me rappelle trop mon affreux accident.

- Désolé de tout coeur, ma Joconde, mon Artémise, de m'être emporté. Quand peut-on se revoir, love ?

- Ce soir, si tu peux, mon autruchon en sucre. D'autant que j'ai un avis à te demander sur une chose qui me préoccupe

- Rien de grave, j'espère, mais s’il le faut je ferais tout pour t'aider. Et pour ne rien te cacher, j'aurais aussi besoin d'un avis.

Ayant pris rendez-vous pour huit heures chez Maureen, Hans décide en attendant de consulter le web pour se renseigner. D’abord sur les compagnies qui s'intéressent aux fusées. Là, rien de bien nouveau depuis ce qu'avait recensé l'oncle Olaf. Il ne se crée pas des sociétés aérospatiales tous les jours. A croire que les gens ne vont jamais en vacances sur Titan. Par contre le site de Willy Herbacker est plus intéressant. On y apprend qu'il met en vente sa vieille Mercedes. Aurait-il trouvé du neuf à bon compte chez Kühler-Barnes? Hans ne croit pas au coïncidences. Une fois qu'il pleuvait, il a vu un gars qui mettait des parapluies dans la vitrine de son bazar, affichés à deux fois le prix.

Ayant convaincu Dick de lui rendre son scooter contre une monumentale pâtée, il se dirige vers l'appartement de Maureen. Une question le taraude. Les vols de scooters se font de plus en plus fréquents. Il y a un gang qui les fauche, les maquille et les exporte clandestinement en Mongolie extérieure. Pourtant il voit mal comment le monter à l'appartement de Maureen au sixième étage. En le démontant peut-être ? Une fois arrivé, il décide d’y poser simplement la pancarte habituelle: " vends scooter en très mauvais état, explose si on le déplace ". Avec un accent grave à déplace, un truc particulièrement déroutant en anglais. Une faute volontaire qui donne un air de vérité, d’absence de calcul, d’incapacité de tromperie délibérée. Une ruse qu'il a maintes fois utilisée avec succès.

Maureen l'accueille dans son somptueux déshabillé de peau d'éthylène sauvage. Il ne cache rien de ses voluptueuses rondeurs. Dommage qu'elle se soit fait tatouer la carte de l'Irlande sur le sein gauche, son mamelon se trouvant niché dans le Connemara. Aucune ligne pour marquer la frontière entre le sud et le nord. Maureen est connue de Belfast à Derry, et même un peu à Omagh, pour ce patriotique détail. Hans reconnaît tout de suite l'air de Molly Malone, provenant de la hi-fi du salon.

- Tu es belle comme un Tullamore Dew, Maureen

C’est bénévolement que l'auteur glisse quelques publicités dans ses romans. Mais il ne refuserait pas une petite bouteille de cet élixir, ou une chouette bagnole, même si Kühler-Barnes ne fabrique pas de Ford.

- Toi, tu es mon Irish stew.

Hans ne sait trop comment prendre ce compliment. Des doutes subliminaux flashent dans sa pensée. Mais il les balaye immédiatement, d'un revers de neurone. Après tout, il aime bien ce genre de ragoût de mouton, à sauce certes un peu liquide, que sait lui mitonner Maureen.

Une demi-heure et même un peu plus se passe. Là, vous êtes priés de regarder ailleurs. N’attendez pas de ce roman des descriptions croustillantes d’évènements périphériques à la trame principale. Disons cependant que le fait que Maureen fasse cela une grenade dégoupillée à la main rend la chose particulièrement extatique.

Puis Hans et Maureen en vinrent aux questions qui les préoccupent. C’est Maureen qui commence.

- Aujourd’hui, dans la rue, j’ai aperçu ton ex, Miranda.

- Mieux vaut toi que moi. Elle faisait quoi ?

- Elle était avec un barbu. Un que j’ai vu l’autre jour la télé. Un des directeurs du FBI. Il traque les mafiosi (ou mafyosovs ?) russes.

- Ce qui expliquerait sa barbe, sans doute fausse.

- Pourtant il la portait toujours en se promenant avec Miranda. Un excès de colle peut-être.

- Qu’importe ! Elle est libre de se promener avec le Pape si elle veut. D’autant qu’elle est catholique. Moi, elle ne m’intéresse plus.

- J'espère bien, mon oisillon d'amour.

- Oui, mon seul lien avec elle désormais, c’est de lui envoyer son chèque de pension mensuelle.

- Tous les mois ?

- Non, chaque trimestre. Et comme elle n’ouvre jamais le courrier qui vient de moi, j’y trouves mon compte. Alors, mon colis de brie, où est le problème ?

- J'espère que tu as voulu dire mon colibri. Le problème vient de ce que je me suis rappelé d’une chose. J’avais vu le même barbu dans une Lincoln garée presque devant ma porte. C'était il y a quelques jours. Je ne sais pourquoi je l’avais remarqué. Peut-être l’émission de télé. Ou le fait que la Lincoln était en train de brûler. L’IRA m’a apprise à être observatrice.

Hans est très intrigué. Comme toujours dans ces cas, profitant de ce qu’il est, tel l’archiduchesse, déchaussé de chaussures et chaussettes - encore un qui refuse de payer la redevance - il se gratte la nuque avec son petit orteil droit

- Bon, faudrait sans doute en savoir plus. T’as repéré son nom dans le programme télé ?

- Une chance que je l’avais gardé. Je n’avais pas fini les mots fléchés. Ils sont malades de donner des définitions aussi courtes,

- Oui, les cases de définition sont bien trop étriquées. Quelle idée de les faire de la même taille que celles à remplir. Alors, son nom, au barbu ?

- Un certain David Herbacker !

- Ah (il est surpris), ben (étonné), en voilà (il est mentalement rapide) une coïncidence ! Et tu connais ma théorie sur les coïncidences…

- Oui, l’histoire de la pluie et du parapluie, mais ça fait une semaine qu’il n’est pas tombé une goutte… (elle réfléchit moins vite que Hans, mais plus à fond)

Un peu agacé, Hans remet ses chaussettes pour se calmer. En vérifiant que personne ne le regarde, les volets étant fermés. Un truc que lui a appris un moine zen dissident. Un qui détestait aller pied nu sur les pistes caillouteuses du Népal et les trottoirs mal entretenus du Faubourg Saint-Honoré.

- La question, n’est pas là, j’étais tout juste en train de me renseigner sur un gars qui s’appelle Willy Herbacker. Un parent de ton fameux David, j’imagine.

- Un gars du FBI, lui aussi, ce Willy ?

- Non, je ne pense pas que le FBI fasse dans le regroupement familial. En fait, c’est un juriste, à la moralité douteuse.

- Des juristes douteux, on en voit plein les films. Faut dire que beaucoup de scénaristes ont divorcé plusieurs fois. Mais en quoi il t’intéresse ?

Hans a confiance en Maureen. De plus, il la sait bonne tireuse au fusil et au bazooka. Encore que l’utiliser pour le petit travail auquel il pense serait semer des indices pour la police. Comme le petit cailloux semait des poucets. Ou l’inverse. Il explique en gros son problème à sa tendre amie du pays des trèfles. Ne vous y trompez pas, il ne va pas jusqu'à exposer son dilemme concernant ses intentions envers Dick. Elle a le cœur trop tendre envers les animaux, et pas seulement les setters irlandais. Non, ce qu’il lui confie, ce sont les difficultés qu’il entrevoit pour tirer profit de l’invention d’Olaf.

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 Page mise en ligne le 19 nov. 2000.  pi-arrig.gif Disclaimer /Avertissement légal pi.arlef.gif  Dernière mise à jour de cette page : 30/07/09

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